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SOMMAIRE: (Mars)

 

La Fashion Week 2014.

 

1-Les créateurs, victimes de la mode.

2- PARIS, tete chercheuse de la mode.

3-Tribus Parisiennes.

4-De la théorie à la pratique.

-1 Les créateurs, victimes de la mode.

 

De plus en plus d’appelés, et combien d’élus? Avec ses fashion weeks exponentielles, ses collections qui se multiplient au rythme de l’ouverture de nouveaux marchés, l’industrie de la mode semble florissante. Mais, avec le succès, monte la pression.

La semaine de défilés parisiens vient de commencer avec une mauvaise surprise: le créateur Felipe Oliveira Baptista vient d’annoncer qu’il suspendait sa ligne de prêt-à-porter. Celui qui est aussi, depuis 2010, le directeur artistique de Lacoste, avait lancé sa marque en 2003 et défilait à Paris dans le calendrier du prêt-à-porter depuis 2009. Il dit aujourd’hui vouloir exploiter de nouvelles voies dans le design. Le retrait de ce créateur talentueux et en plein succès en dit long sur le statut de cette profession pourtant enviée. Sommés de produire des créations excitantes et «vendables», d’assurer sur Instagram comme en conseil d’administration, les designers doivent trouver leur place au sein d’une industrie planétaire. Entre précarité et surcharge, chacun doit trouver un équilibre personnel et professionnel: que ce soit dans une marque qui leur appartient ou à l’abri derrière un nom connu.

Certains font les deux comme Christophe Lemaire, qui navigue entre son label et la mode féminine d’Hermès. Toujours en retrait du cirque de la mode, sa collection est une petite musique vestimentaire familière et originale. Pour l’hiver, le créateur reste concentré sur sa volonté d’habiller les femmes avec de «vrais» vêtements. Sa palette sobre (marine, noir, beige, kaki), ses pièces poétiques et pertinentes (grands cardigans et pulls extra-longs, pantalon tailleur coupé au-dessus de la cheville, jupe portefeuille mi-longue, vestes croisées et ceinturées, grands manteaux amples) composent un vestiaire moderne et désirable.

A l’instar de Christophe Lemaire, la fashion week parisienne abrite de nombreux petits labels au succès croissant. Parmi eux, le Belge Cédric Charlier a trouvé sa formule. Il s’est associé au groupe Aeffe (Alberta Ferretti, Moschino) pour produire ses collections dans les meilleures conditions. Sa ligne hiver est un bon compromis entre réalisme et sophistication. Ses manteaux aux manches soufflées, ses silhouettes bi-textures (lisses au recto, texturées façon écailles au verso, ou l’inverse), ses pantalons flous à pan-arête ont un charme urbain sans prétention.

Damir Doma cultive le même genre de style, un mélange contemporain de design architecturé avec une touche de sensualité. Les fans de ce designer d’origine croate trouveront leur bonheur dans la collection hiver: manteaux peignoirs en tweed bicolore, jupe et blouse à motifs plaid, robes en velours à rayures dévorées ou maxi-pull à gros ajours géométriques incarnent une féminité intrigante.

Autre proposition intéressante, celle d’Anthony Vaccarello, qui appartient lui aussi à cette génération de designers en devenir. Ce Belge s’est fait connaître grâce à des robes sexy, mais sa dernière collection dépasse ce stéréotype. Ses très beaux pantalons tailleurs resserrés sur la cheville, ses blousons de cuir aux proportions justes, ses manteaux aux coupes impeccables équilibrent une série de mini-robes asymétriques.

L’Anglais Gareth Pugh choisit une voie plus radicale. A l’ère de la «portabilité», il persiste dans la veine expérimentale qui a fait de lui une étoile montante. Ses silhouettes sculptures en toile brute, plastique, rodhoïd et mouton retourné relèvent du commentaire sur le processus créatif. L’enjeu? Transformer cela en options commerciales. Cette génération de designers talentueux arrive à un tournant, on reconnaît leur valeur mais ils doivent passer à la vitesse supérieure.

En 2014, les créateurs de mode sont confrontés à bien des défis, mais réussir en indépendant est possible: la carrière de Dries Van Noten en est la preuve. Cet Anversois a présenté sa première collection à Londres en 1986, et n’a cessé depuis de prospérer. Consécration ultime, le Musée parisien des Arts décoratifs lui consacre ce printemps une exposition qui associera ses créations à des œuvres d’art. Le secret de son succès réside sans doute dans son intégrité. Il reste fidèle à son mélange d’influences qui confronte les arts, les voyages, le sportswear et l’histoire de la mode. Sa collection d’hiver mêle ainsi un sens du romantisme (des imprimés à fleurs, des broderies végétales argent) à des effets Op’art (des lignes ondulantes, des motifs géométriques répétitifs) et des touches sport (des pantalons et des manteaux à zips). L’ensemble dégage un sentiment d’élégance intimiste et sensible. Le public y est habitué et se rend dans ses boutiques pour cela.

 

Son exemple est encourageant mais son succès est le fruit d’un autre contexte. L’industrie de la mode a beaucoup changé. Pour les aspirants d’aujourd’hui, il faut trouver ce qui donne un sens concret et durable à leur vision. Dans cette quête, les saisons à venir seront cruciales.

 

 

2-Paris, tete chercheuse de la mode.

Comme l’art, mais aussi comme tout autre domaine industriel, la mode a besoin d’inventeurs qui repoussent les limites, voient les choses d’un autre œil. Sans Picasso ou Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, pas d’avancées dans la peinture ou les réseaux sociaux. L’industrie du style a également ses empêcheurs de créer en rond : des designers, dont les collections orientent l’esthétique dominante ou, au moins, mettent en question ses valeurs. Dans un monde épris de nouveautés, leur vision est aussi un argument de vente solide, surtout quand le marché est saturé de propositions plus ou moins uniformes. Cependant, il ne faut pas confondre ces créateurs avec des artistes, car leur art appliqué les incite à penser à la destination finale du vêtement : être porté. C’est là qu’ils rejoignent l’autre grande famille de designers parisiens : les adeptes d’une esthétique plus reconnue, capables néanmoins de proposer des vestiaires à supplément d’âme.

Dans la catégorie des précurseurs, Céline fait figure de tête d’affiche depuis l’arrivée de sa directrice artistique, Phoebe Philo, en 2008. La jupe mi-longue qui envahit les podiums, les chaussures de skate que l’on croise dans la rue aux pieds des anciennes accro aux talons aiguilles ?

Tout cela est d’abord apparu chez Céline. Et avec sa collection hiver, la créatrice anglaise continue d’inventer une féminité moderne, souvent radicale, parfois déroutante, toujours intéressante et intelligente.

Dimanche 2 mars, les longs manteaux qui ouvrent le défilé au Tennis Club de Paris donnent le ton : les boutons débordent du tracé des boutonnières tout comme la marque sort des clous. Le reste de ce vestiaire est une ode à la rébellion contre les clichés vestimentaires: maxi-cristaux étranges qui réveillent une robe noire austère, long pantalon en maille, glissé sous un pull assorti, manteaux cocons aux textures de laine bouillie, mouchetée comme un tapis ou un tableau abstrait, jupes portefeuille aux fentes asymétriques, effets croisés enveloppants et graphiques, plumes piquées comme des épines, ourlets coulissés comme une pièce sportive, motif léopard abstrait…

C’est un luxe inattendu et familier à la fois qui naît chez Céline, une allure que l’on regardera beaucoup et qui inspirera sûrement.

Autre collection que l’on est sûr de retrouver, filtrée chez Zara, celle de Givenchy est une des plus abouties de Riccardo Tisci.

 Ce styliste italien qui a fait du hip-hop une référence couture est aussi une sorte de militant féministe qui aime habiller les femmes pour les rendre fortes et belles. Un beau programme illustré par son vestiaire hivernal: un mélange de douceur et de puissance, réunies par un talent inné pour la construction textile.

En robe de mousseline drapée aux imprimés sauvages (reptile, fauve, papillons rares), en pantalon à poches contrastées et long manteau glissé sur une chemise et une lavallière XL, la femme Givenchy passe sans ciller de la femme fatale à la femme d’affaires. Les robes manteaux en cuir et fourrure, les jupes plissées portées avec une ceinture élastiquée qui retient un pull sur les reins, les longues robes de dentelle noire à bustier de fourrure ou de python soulignent le luxe exotique et fascinant de ce vestiaire.

 Echappée d’une forêt tropicale oubliée ou d’un vaisseau spatial, la femme Givenchy est de celles que l’on n’oublie pas et que l’on rêve d'imiter.

Elle partage une forme de bienveillance avec Clare Wright Keller, la créatrice de Chloé. Celle-ci imagine une collection pleine de douceur, présentée par de jolies filles fraîches. Les manteaux enveloppants en laine mousseuse ou en cuir pétale de rose, les grands pulls qui enrobent des jupes fluides rassurent et réchauffent. Les maxibroderies de métal et les bottes qui caressent le genou musclent une silhouette parfois un peu sucrée. Mais l’ensemble conserve le charme indéniable d’une mode qui fait se sentir jolie et bien dans sa peau. Et que l’on choisisse un style d’avant-garde ou pas, ce bien-être est essentiel.

 

 

 

-3 Tribus Parisiennes.

Berceau de la haute couture, Paris est aussi la capitale du style, où les créateurs ont un point de vue. Pas de demi-mesure : en matière d’esthétique, le centrisme n’est pas une valeur très parisienne. Ces signatures marquées s’expriment avec naturel à travers des collections qui définissent au passage des tribus de femmes.

Chez Carven, le designer est toujours le même mais le style a joliment mûri. Guillaume Henri a lâché sa femme-enfant pour une personnalité plus fatale mais pas racoleuse. En tailleurs minijupe portés avec des cuissardes épurées, habillée de satin ténébreux réveillé de quelques cristaux nichés dans une découpe, en manteau décoré de collages arty et romantiques, cette fille a de l’assurance. Elle connaît son pouvoir de séduction et sait en jouer juste ce qu’il faut.

L’ambiance est plus intimiste chez Paco Rabanne pour la deuxième collection de Julien Dossena. Le Français est en train de réussir là où beaucoup ont échoué: éviter la malédiction de la robe en métal emblématique de la marque. Son futurisme est plus urbain, une réminiscence de son passé chez Balenciaga-période Nicolas Ghesquière. Pantalons mi-smoking mi-jogging, pulls à col zippé sur jupe asymétrique en maille argent, robe de cuir à panneaux latéraux signent une ligne graphique et moderne pour les fans d’avant-garde portable.

Les adeptes du look rock à la Patti Smith ont une adresse de prédilection : Ann Demeleumeester. La créatrice belge a annoncé son retrait et a confié sa marque à l’équipe de son studio – qu’elle continue pour l’instant de conseiller. Pour leur entrée en matière, ces designers ont livré un concentré du style saison: de grandes silhouettes fluides qui mêlent leggings de cuir ou pantalons droits et amples, manteaux souples à carrures étroites et grandes chemises drapées. Une symphonie en noir habitée qui se décline également en version masculine et rend déjà nostalgique.

L’autre enfant du rock de la scène parisienne s’appelle Rick Owens. Ce Californien talentueux fait littéralement défiler sa tribu puisque les mannequins ressemblent à des femmes de la rue; et elles sont parfaitement à l’aise dans ses grands manteaux cocon portés avec des cuissardes sans talon ou des pantalons renforcés de biker. Une vraie silhouette d’amazone urbaine tout terrain allergique au glamour traditionnel.

 

 

 

-3 De la théorie à la pratique.

Appliqué à la mode, le vieux débat entre le concept et la forme se double d’une confrontation entre l’inspiration créative et la fonctionnalité du vêtement. La question est plus que jamais d’actualité. Les maisons aspirent à un succès commercial mis à mal par la conjoncture économique tandis que les créateurs se tournent vers une mode cérébrale.

Ces deux envies sont cependant loin d’être incompatibles : savoir les réconcilier est même ce qui distingue les designers les plus talentueux. En matière de théorisation de la mode, le Belge Raf Simons, qui a été professeur à l’université des Arts appliqués de Vienne, ne craint personne.

 Si l’on ajoute à cela sa passion – sincère – pour l’art contemporain, on pourrait s’attendre à le voir produire une mode radicale. Or, sa dernière collection Dior est aussi fonctionnelle qu’originale. « Cette saison, je voulais suggérer un nouveau type de femme, annonce-t-il dans sa note d’intention, une femme au pouvoir et à l’énergie très affirmés. Je voulais développer l’idée de pouvoir à travers la construction du vêtement, offrir une nouvelle réalité pour une nouvelle fonctionnalité.» Ce parti pris lui permet aussi d’éviter une interprétation littérale des codes de la maison.

Le fameux jardin de Granville de M. Dior trouve un écho dans un colorama riche et lumineux, tandis que les effets de cannage des sacs de la maison se muent en motifs matelassés abstraits. Grands manteaux à taille appuyée soulignée par des laçages empruntés aux tenues de sport, tailleurs pantalons aux coupes précises, doubles robes aux ajours géométriques, maxi robes débardeurs en laine mate ou voilée de tulle brodé : son vestiaire invente un nouveau Dior. Moderne et intelligent, sans trahir le goût de la féminité triomphante du fondateur de la griffe.

La saison parisienne semble favoriser le concept modéré : l’anglais Hussein Chalayan, connu pour ses collections-happenings et ses créations high-tech à transformations, propose pour l’hiver un vestiaire plus abordable esthétiquement. Robes à drapés asymétriques, jupes-culottes à jambe dézippée et vestes à dos cape donnent une interprétation quotidienne de son style. Pour les fans plus radicales, le designer imagine aussi des robes à carreaux de couleurs voilés de franges, des bustiers corolle déployés et des textures semi-transparentes aux étranges reflets changeants.

Isabel Marant, elle, n’a aucune raison de théoriser sa mode : ses envies et celles de se clientes sont ailleurs. La créatrice défend donc son style de Parisienne cool avec des penchants « hippie chic ». Grands pantalons en coton, cuir ou soie, veste à maxi-carrures en laine à chevrons ou en fourrure, pulls angora, minirobes façon plaids et bottines corsetées composent une panoplie réjouissante, facile à appréhender. Et facile à porter ? Pas sûr : si les tailles des pantalons matelassés et les proportions des grosses vestes épaississent sans pitié la silhouette extrafine des jolies filles du podium, que vont-elles faire subir à la cliente lambda ? La voie de la facilité n’est peut-être pas toujours celle que l’on croit.